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Revue scientifique sur les émissions de particules fines et dioxines

La combustion de déchets ménagers produit différents gaz et particules. La composition exacte dépend des déchets traitées et des filtres employés dans l’incinérateur. Intéressons nous aux particules fines. Ceux qui ont vécu pendant longtemps dans les grandes agglomérations ont l’habitude des alertes de qualité de l’air aux particules fines. Souvent on utilise des abbréviations comme PM2.5 ou PM10, pour indiquer la taille maximale de ces particules. PM2.5 pour particules plus petits que 2.5µm et PM10 pour particules plus petit que 10µm. Mais qu’est-ce que c’est qu’une particule fine au juste en terme de composition moléculaire et pourquoi ces particules sont-elles surveillées pour des questions sanitaires?

La composition des PM2.5

Ici le dilemme commence déjà, de quoi parle-t-on réellement quand on parle de PM2.5? Si on se fie à la défition du Air Resource Board de la Californie les PM2.5 est en fait une mixture de pleins d’espèces chimiques différentes. Ca peut être un mélange de solides, de liquides et composants en solutions, des solides entourés de liquides et bien-sur divers gaz. Il y a certaines études qui on essayé de mesurer la composition plus exacte de ces fameux PM2.5 dans l’atmosphère. Des chercheurs de l’université de Zhejian en Chine, elle même exposée à des pollutions aux particules fines importantes, ont pu étudier la composition chimique des PM2.5 en été et en hiver. Ils ont mis en évidence que les composants majeurs sont des ions solubles comme des sulfates, nitrates et de l’ammonium suivis de composés organiques. Dans l’introduction le lecteur curieux pourra trouver tout un tas d’autres études scientifiques revues et validées par la communauté sur la toxicité des particules fines sur les organismes vivants, y compris l’homme.

La teneur en composants organiques m’intéresse particulièrement ici. Essayons de mettre cette limite de 2.5µm à l’échelle d’un composant organique. Est-ce qu’un filtre qui filtre à 1µm, par exemple ne devrait pas pouvoir les filtrer facilement?

Prenons par exemple une classe de molécules assez connue par le grand publique; les dioxines. Les dioxines désignent plusieurs molécules, un exemple d’une dioxine est la molécule en dessous:

La dioxine est une molécule avec une conformation tridimensionnelle plate. On peut donc très facilement mesurer la taille de la molécule, ici la distance entre les extrémités les plus éloignés (2 chlores) est d’environ 1nm. Nous sommes donc à un facteur 2500x plus petit que le seuil pour les PM2.5. Mais très probablement elle ne « voyage » pas seule et s’associe ou s’agrège probablement à d’autres molécules. Je n’ai malheureusement pas encore trouvé d’études sous quel forme d’agrégat les dioxines sortent des cheminées des incinérateurs.

Est-ce que ces particules sont filtrés?

En voilà une question intéressante. Il y a deux études qui se sont intéressées à ce sujet notamment sur les émissions d’incinérateurs à déchets.

Dans une revue d’articles paru en 2016 dans Atmospheric Environment, Jones et Harrison affirment que les particules ultrafines (<100nm) sont bien filtrés par différents systèmes de filtrages et l’environnement autour d’un incinérateur ne montre pas d’augmentation significative de PM2.5 par exemple. Une étude très récente et en cours de revue scientifique par des pairs semble contredire néanmoins ce constat. M.W.Reeks, auteur de cette étude démontre que même si les filtres conventionnels utilisés retiennent bien des particules au dessus de 1µm. Ils semblent être inefficaces (5% d’efficacité seulement dans certains cas) pour des particules d’une taille entre 0.2 et 0.5 µm par contre.

Est-ce que les dioxines par exemples ne seraient du coup pas filtrés? A en croire une étude de l’Institut de veille sanitaire la réponse serait que si, pour les nouveaux incinérateurs. Il en serait de même pour le plomb et le cadmium. Nous voilà rassurés? Cette étude mentionne tout de même explicitement que ce filtrage est une avancée récente et avant les zones autour des incinérateurs ont été bien exposés à des concentrations anormales de dioxines durant des décennies. Une étude d’Ineris semble le confirmer également, sauf pour deux incinérateurs.
Il est intéressant d’observer la différence d’approche entre ces deux études menées en France. La première analyse la présence de dioxines dans le sang de la population. La seconde mesure les émissions de dioxines lors des contrôles réguliers (mais connus en avance – donc ce n’est scientifiquement parlant pas un test réel et significatif).

Comment peut-on arriver aujourd’hui à une disparité aussi importante d’affirmations scientifiques sur le sujet. En partant de filtrage 100% vendus par les pouvoir publics et constructeurs à une étude qui dit que les particules ultra fines ne sont pas du tout filtrées?

A l’heure actuelle la mesure la plus fiable qui existe sont les mesures d’émissions faits durant les tests des incinérateurs … mais malheureusement ces tests ne sont pas fait à l’aveugle et de manière aléatoire non annoncés. Les données actuelles montrent qu’il y a bel et bien une émission, même si elle est infiniment plus petite que celle à laquelle était exposé la population durant les années 1970, 80 et 90. Rappelons que ces améliorations en termes d’émissions n’ont pas été initiés par les industriels, ni les pouvoirs publiques! Ce point est crucial pour éventuellement essayer comprendre la population qui se voit confrontée à une construction d’une telle usine proche de son habitat.

Etude Zero Waste

Une ONG relativement connu dans le domaine de la gestion des déchets est Zero Waste. Contrairement à la pratique courante ils demande clairement un changement de règlementation de contrôle des émissions autour des incinérateurs. Ils demande des prélèvements et un monitoring de l’environnement autour des incinérateurs de manière régulière en plus des tests obligatoires sur l’incinérateur lui même. Par principe de précaution, on aurait envie de de dire, mais oui, bonne idée, pourquoi nous le faisons pas?

Ils ont réalisé une étude en 2021 et 2022 de monitoring biologique autour de 3 incinérateurs européens:
– Kaunas en Lituanie
– Madrid en Espagne
– Pilsen en République Tchèque

L’analyse portait sur les oeufs de poules, élevées proche d’un incinérateur ainsi que la concentration en dioxines et PFAS dans les mousses et aiguilles de pins.

Essayons déjà de savoir de quand datent ces incinérateurs, étant donné qu’on nous dit que les tout nouveaux mis aux normes ne polluent plus, mais ils ont bien pu polluer avant une éventuelle mise au norme.

  • Kaunas, commissionné en 2020 d’après plusieurs sources (1, 2)
  • Madrid, commissionné en 1997 (1)
  • Pilsen, démarré en 2017 (1)

Nous avons donc 2 centrales très modernes qui devraient suivre les mêmes normes qu’en France et une, un peu plus agée à Madrid. Il est assez ironique de voir que celui de Madrid est vouée à la fermeture à l’horizon de 2025.

Les résultats sont assez claires, voici l’extrait du résumé de l’étude:

  • The analysis of chicken eggs around incinerators shows that the majority of eggs exceed the EU action limits for food safety as regulated in the EU Regulation 2017/644. The EU regulations urge for action on these sampled egg locations to find out the source of POP contamination, in order to eliminate or – at least – do the utmost to reduce dioxins (PCDD/F) to minimum levels. Moreover, a high percentage of eggs exceed the safe level for consumption. If these eggs were intended for the commercial market, they should have been withdrawn from the market.
  • The results of the analysis of the vegetation, pine needles and mosses also show high elevation of dioxin levels in the vicinity of the waste incinerators. Although there is no legal obligation to take action, it’s a sign of pollution. Moreover, people living in the vicinity of incinerators could be under threat if they grow vegetables for consumption. 
  • This biomonitoring research gives a warning sign for contamination of the environment with toxic substances such as dioxins (PCDD/F), dioxin-like PCBs, PAHs and PFAS.

Alors comment se fait il que Zero Waste et ToxicoWatch n’obtiennent pas les mêmes résultats que les autorités sanitaires en France? Ils n’ont pas mesuré la même chose. Tandis qu’en France on mesure la concentration de dioxines dans le sang des personnes vivant à côté ou la quantité de dioxines émises dans l’atmosphère, Zero Waste a regardé la quantité de dioxines dans les oeufs de poules et dans la végétation. Est-ce comparable? Pas vraiment, mais…

Le rapport Zero Waste contient également des cartes des mesures prises autour de l’incinérateur. Voyons si les vents majoritaires coincident avec ces endroits?

Kaunas (vent majoritaire de provenance ouest-sud-ouest)

Madrid (vents dominants de provenance nord, nord-est ou sud-sud ouest)

Pilsen (dominant ouest-sud-ouest)

Pour Madrid et Kaunas il semble clairement y avoir une correlation entre la direction du vent et les endroits de mesures au dessus des seuils règlementaires. Pour Pilsen le rayon a été très fortement étendu et des concentrations anormalement élevées observés tout autour, il est donc difficile d’y voir une correlation claire ici.

Comme si bien dit dans les rapports officiels Français, ces contaminations peuvent très bien être antidatées avant la construction des incinérateurs. Nous avons un joli exemple qui a fait la presse nationale avec l’incinérateur d’Ivry sur Seine et la contamination d’Ile de France (relation cause à effet toujours à vérifier, mais vu l’âge de l’incinérateur il y a des bonnes chances qu’il joue une belle part dans cette contamination de la région).

Je n’ai pas pu trouver l’historique d’implantation industrielle autre dans ces zones, mais suis intéressé si jamais vous en avez.

A qui faire confiance?

Nous sommes donc dans un dilemme où d’un côté les autorités sanitaires, industriels et collectivités nous disent qu’il n’y a pas de danger, mais une ONG indépendante semble indiquer le contraire.

D’un point vue très rationnel et scientifique: la manière avec laquelle sont réalisés les tests d’émissions des incinérateurs ne rassure clairement pas. Ce ne sont pas des tests en continus, ni aléatoires ni sans annonce préalable. Est-ce que l’utilisation de systèmes de mesures d’émission en temps réels ne seraient pas plus souhaitables et transparente pour instaure la confiance envers la population?

Ici nous avons gratté un tout petit peu la surface sur sujet que sur une petite classe de molécules toxiques. Un incinérateur en émet beaucoup d’autres et chaque substance émise doit faire objet de filtrage et legislation stricte. Ces deux facteurs ont cruellement manqué durant les dernières décennies et ont par conséquent écorché très sérieusement la confiance de la population impactée par ce genre de projet.