Ce cinquième article fait partie d’une suite d’articles résumant le rapport récemment publié par un consortium d’ONGs. Ce rapport traite de l’impact de l’incinération sur l’environnement, la santé humaine et le climat. Pour rappel le rapport complet est disponible ici.
Ici je vais parcourir les sections sur le rôle de l’incinération dans l’écosystème mondial – un des thèmes centraux du rapport.
Une étude parue en 2009 a permis d’identifier 9 limites planétaires à ne pas franchir afin d’éviter des événements catastrophiques pour la planète. Ces limites sont:
– le changement climatique
– l’intégrité de la biosphère
– les flux biogéochimiques du phosphore et de l’azote
– les nouvelles entités (contamination chimique)
– le changement d’usage des sols
– l’acidification des océans
– l’utilisation de l’eau douce et le cycle de l’eau
– l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique
– l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère
Le ministère de la transition écologique a même un propre site pour ces 9 limites. Je vous incite très fortement de les parcourir un peu, il y a le contexte historique et la situation en 2015. Ce n’est donc pas encore un autre truc tiré par le chapeau des écologistes extrémistes. Plusieurs indicateurs ont pu être mis en place pour ces neufs limites planétaires. Il est inquiétant et consternant de voir que nous avons déjà réussi à dépasser les 6 premières limites.

Voyons voir donc comment notre petit incinérateur angoumoisin impactera ces limites planétaires.
Changement climatique
La génération des déchets est une menace globale et un défi à relever sur l’échelle planétaire. La production d’ordures ménagères va augmenter de 2.3 millards de tonnes en 2023 à 3.8 millards de tonnes en 2050. C’est la façon dont les communes et pays traitent leurs déchets qui déterminera à quel point le climat sera impacté. Les émissions de CO2 issus de l’incinération dépendent fortement du taux de carbone dans les déchets de base. En général 1t de déchet génère entre 0.7 à 1.7t de CO2 dans l’atmosphère. Si l’argument principal est que cela génère tout de même de l’énergie et de l’électricité, un incinérateur génère plus de gaz à effet de serre que tout autre manière de générer de l’électricité.
Les pro-incinérateurs soumettent souvent une documentation d’impact environnemental qui considère que les ordures ménagères contiennent du carbone biogénique (de la matière organique carbonnée). C’est cette argumentation qui les aide à convaincre que d’incinérer ces déchets c’est mieux que de les mettre en décharge – car la décomposition de la matière organique en décharge génère du méthane – gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2.
Mais cette supposition n’est plus tellement vrai car il y a maintenant des technologies pour extraire le gaz des décharges. Une autre option reste le tri à la source de tout déchet organique et la mise en composte et au recyclage…une obligation en France depuis 2024, mais ignoré par un nombre de communes.
Une étude parue en 2006 a même démontré que la mise en décharge avec un pre-traitement complet (tri des déchets organiques, séparation des matières recyclables et bio-stabilisation) a un bilan bien plus positif que l’incinération en termes de pollution climatique, pollution de l’air et les coûts de santé associés.
Un autre argument mis en avant dans certains articles et réponses au projet de CALITOM est que la teneur en carbone du réseau électrique dans l’UE diminue. De moins en moins de combustibles fossiles sont utilisés et sont remplacés par des énergies renouvelables ou du nucléaire. Cette tendance va continuer et par conséquence, l’incinération aura un impact négatif proportionnellement toujours plus important dans l’avenir.

La quantité émis en CO2 en brulant des déchets carbonés (origine fossile) pour produire de l’énergie est souvent comparé dans les documents des constructeurs des incinérateurs aux émissions qui viendraient des décharges (même quantité). Et ceci en générant de l’énergie et de la chaleur comme si on brulait du charbon. Mais en comparaison avec une politique de séparation des déchets, recyclage et compostage les incinérateurs sont bien plus polluant pour le climat.
En comparant la récupération de l’énergie à partir des déchets les industriels ciblent la confusion d’un bénéfice potentiel à mieux trier ses déchets.
Comme la durée de vie d’un incinérateur est de 20 à 30 ans, chaque construction retarde de ce lapse de temps toute transition vers des méthodes de production d’énergie moins polluantes. Cela retarde aussi une meilleure récupération des ressources contenues dans les déchets.
Aussi, tout incinérateur dans l’UE fera partie du système de certificats à émissions en CO2 et ce à partir de 2026, donc même avant la construction de notre petit incinérateur. Cela a pour conséquence que nous paierons encore plus cher de toute façon l’incinération et aussi pour l’électricité et la chaleur générée.
Selon une étude menée par un réseau d’ONG (Friends of the Earth) en 2009, 5,25 millards € en ressources sont perdues dans l’UE simplement par qu’on incinère ou on décharge les déchets plutôt que de les recycler. Si tous ces déchets étaient recyclés, l’UE arrêtera d’émettre 148Mt de CO2 annuellement – l’équivalent de 47millions de voitures. Environ 405Mt des déchets sont recyclables, mais 52% sont jetés ou incinérés – pays riches.


Jusqu’à 2050 le fait de bruler du plastique produira plus de CO2 que l’incinération de combustibles fossils. Une étude sud coréenne indique que la conversion du plastique vers l’énergie devrait être considéré comme une problématique bien plus importante qu’actuellement.
En conclusion, l’unique solution pour éviter toute contribution néfaste à l’atmosphère dans l’avenir est de s’éloigner des chemins sans issus menées par l’incinération ou des technologies similaires.
Nouvelles entités chimiques
En 2022 une étude est apparue (Petersen et al) qui cartographie l’étendue de la pollution chimique sur la planète. La limite planétaire pour ces nouvelles entités chimiques a été dépassée avec un taux de croissance tel que l’homme n’est même pas en mesure de monitorer l’étendue à l’heure actuelle. Un aspect traité dans cette étude (un parmi d’autres) est la pollution aux plastiques. Le problème est tellement vaste que même en arrêtant du jour au lendemain la production de ces composés et en introduisant des manières de recycler ou capter ces composés il n’y a aucun moyen de le faire appliquer sur la planète entière.
Les incinérateurs de déchets représentent ici un vecteur important d’introduction de ce type de molécules dans l’environnement par les airs, l’eau et dans les déchets solides issus de l’incinération.
Même si cela semblait impossible, les cendres des incinérateurs contiennent des concentrations relativement élevées de micro et nanoplastiques non brulés durant le processus de l’incinération. 31 échantillons prélevées dans 16 incinérateurs à déchets modernes présentent tous des résidus de plastique non brulés. Comme il n’y a pas de méthode pour mesurer de manière standardisée la teneur en plastique des cendres il n’y a pas non plus de règlementation d’éventuelles limites d’émissions.

L’incinération des déchets génère aussi les polluants organiques persistants. Les dioxines sont un parfait exemple de ce surpassement de la limite planétaire en nouvelles entités chimiques. Selon des données de 2008 nous émettons 101kg TEQ par an. Dans une étude de 2021 les auteurs ont pu déterminer que 15kg TEQ de dioxines par an sont issus des résidus de l’incinération seuls. Si on cumule toute la génération de dioxines sur la planète issus de l’incinération de déchets seuls on se trouve déjà avec 2x plus que la quantité que la population de la terre entière pourrait ingérer par an (dose tolérable). Certes, nous n’allons pas nous mettre à manger les cendres des incinérateurs, mais comme nous avons pu voir dans les articles précédents, les dioxines terminent dans l’eau et la chaine alimentaire in fine.
Biodiversité
Maintenant venant à un sujet cher à Monsieur Monier, vice président du Grand Angoulême, la biodiversité. Dans une étude parue en 2023 on met en évidence la relation directe entre la perte de la biodiversité et la présence de substances chimique issues de l’activité humaine. Les incinérateurs contribuent à cette perte de biodiversité en déversant des substances toxiques dans l’environnement – et pour certaines les substances n’existeraient même pas sans incinération. Les polluants organiques persistants sont particulièrement impactant pour la biodiversité avec des effets néfastes sur la reproduction chez un bon nombre d’espèces (y compris l’humain).
Les pollutions en métaux dans l’eau contribuent également à la perte de biodiversité d’organismes vivant dans l’eau. Le zinc et cuivre contenu dans les cendres des incinérateurs sont particulièrement néfastes pour les organismes aquatiques.
Un des examples les plus étranges de mise en danger de la biodiversité nous vient d’un récif de corail aux Bermudes. Les cendres d’un incinérateur de déchets construit en 1995 ont été mis en décharge sur une décharge sous-marine. Tout un tas de molécules toxiques ont été détectés dans l’eau, issus de ces cendres déposés.
Flux biogéochimiques du phosphore et de l’azote
Voici une limite planétaire que j’ignorais totalement jusqu’à la lecture de ce rapport. L’azote et le phosphore (phosphate) sont indispensables à la vie, car ils font partie de bon nombre de molécules biologiques, au même titre que le carbone et l’oxygène. Ces éléments passent par des cycles réguliers et mediums (eau, air, êtres vivants, sol) dans un état global d’équilibre. Mais l’humain a réussi à perturber cet équilibre en amenant un excès en azote et une diminution de phosphore en circulation naturelle.
Aujourd’hui on extrait du phosphore de mines pour fabriquer des fertilisants solubles qui partent pour la plus grande partie dans l’eau et causes des zones à fortes croissances d’algues et rendent des cours d’eau, baies et certaines zones maritimes inhabitables à la vie (lisez les algues vertes, pour avoir un exemple Franco-Français de ce phénomène en Bretagne).
La diminution de la disponibilité en phosphore est un problème connu et reconnu et il y a des initiatives pour forcer une récupération des boues des stations d’épuration par exemple. Malheureusement la problématique ne s’arrête pas sur l’azote et le phosphore eux même et nous verrons probablement d’autres éléments s’ajouter sur la liste des limites à surveiller au niveau planétaire.
L’utilisation massive de phosphore dans les années 1950 à 1990 s’est lentement stabilisée. Notamment après les années 90 les pays riches d’Europe de l’Ouest ont diminué l’utilisation de fertilisant, mais les pays plus pauvres en Amérique du Sud ou en Asie on augmenté leur consommation. Malgré la réduction en Europe, nous utilisons aujourd’hui toujours trop de phosphore.

Il est donc important d’extraire le phosphore de tous les déchets produits par le processus d’incinération, des boues des stations d’épuration et de l’eau en général – mais nous sommes encore très loin d’un semblant d’équilibre aujourd’hui.
Par exemple, au Danemark 10000 t de phosphore sont perdues chaque année dans les incinérateurs. Cela correspond approximativement à la quantité de phosphore importé par le Danemark chaque année. Pendant ce temps les sols s’appauvrissent en nutriments pour les plantes. L’agriculture essaie de compenser ce manque en ajoutant des fertilisants. Mais le prix du phosphore a quintuplé ces dernières années et il ne restent que quelques mines dans le monde.
Il existe pourtant une méthode récente pour récupérer le phosphore des cendres d’incinération, mais il est toujours plus avantageux d’éviter l’incinération des déchets et de récupérer le phosphore via du compostage. Ce compostage est financièrement beaucoup plus avantageux pour amener le phosphore de nouveau au secteur d’agriculture. Plusieurs études ont démontré que les déchets alimentaires sont le mieux traités via digestion anaérobique. Ce que nous faisons actuellement, incinérer et mettre en décharge, sont les options les moins efficaces.