Un rapport des pouvoirs publics recense d’importantes lacunes dans la surveillance de ces substances toxiques
Depuis plusieurs semaines, associations et parlementaires pressaient le gouvernement de rendre public un rapport contenant « des données potentiellement explosives », selon les termes du député écologiste de Gironde Nicolas Thierry, à l’origine d’une proposition de loi contre les risques liés aux très toxiques PFAS (substances per- et polyfluororalkylées). Le Monde a eu accès au rapport. Il devrait être publié vendredi 14 avril, avec plus de six mois de retard sur la commande initiale, par le ministère de la transition écologique.
Lorsqu’elle avait saisi, le 8 février 2022, l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Barbara Pompili, alors ministre de la transition écologique, avait donné jusqu’au 8 octobre 2022 à ses services pour lui rendre « une analyse des risques de présence de PFAS dans l’environnement».

L’eau potable très touchée
Le rapport dresse un « constat inquiétant » de la situation française : « La mission a acquis la conviction qu’à ce stade, les connaissances sur les risques sanitaires associés aux différents PFAS [on en recense plusieurs milliers] sont insuffisantes, voire absentes pour une majorité, que leur détection et leur quantification se heurtent à des difficultés analytiques majeures et qu’il n’existe pas de solutions simples et fiables pour leur destruction et leur élimination. » En résumé, on ne surveille pas ou très mal leur présence dans l’environnement, et on ne sait pas comment les éliminer.
Surnommées « polluants éternels » en raison de leur extrême persistance dans l’environnement, les PFAS sont pourtant massivement utilisées dans l’industrie depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméables ou résistantes à de fortes chaleurs. Les inspecteurs de l’IGEDD rappellent que « la toxicité et le caractère CMR [cancérogène, mutagène et reprotoxique] de ces molécules sont « souvent suspectés, voire avérés ». Aussi, ils se montrent favorables à leur « restriction » globale – initiative portée par plusieurs Etats au niveau européen –, mais soulignent que leur interdiction n’aura d’effets qu’à long terme et qu’il est donc urgent d’engager des « actions prioritaires » afin de mieux identifier les sources de pollution aux PFAS.
Or, à la lecture des 90 pages du texte, le dispositif de surveillance des PFAS est aujourd’hui largement défaillant en raison d’une réglementation très lacunaire. Pas de réglementation sur les emballages alimentaires quand le Danemark les interdit depuis 2020. Pas de normes sur les sols, milieu de rétention pourtant « significative » des PFAS. Pas de réglementation non plus sur leur présence dans l’air.
Même carence pour l’eau potable. « La France ne réglemente aucun PFAS dans le contrôle des eaux destinées à la consommation humaine », alors même que, depuis 2015, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) propose l’instauration de concentration maximale pour deux PFAS particulièrement problématiques – le PFOA et le PFOS. Interdits respectivement depuis 2020 et 2009, le PFOA – longtemps utilisé dans la fabrication du Teflon – et le PFOS sont pourtant très fréquemment retrouvés (85 % de fréquence de détection) dans les eaux de surface (fleuves, rivières, lacs) lorsqu’ils sont recherchés.
Les rares études réalisées en 2011 et en 2015 montraient une concentration moyenne nationale de
28 nanogrammes (ng) par litre, soit plus de cinq fois supérieure à la proposition de norme de qualité environnementale (4,4 ng/l) de la Commission européenne. Un pic à 725 ng/l a même été mesuré sur une station près de Melun. L’exploitation des relevés effectués entre 2016 et 2020 sur le seul PFOS par l’Agence de l’eau Seine- Normandie montre que le bassin est « contaminé dans son intégralité ». Outre la Seine, le rapport relève une contamination « significative » de l’Oise, de l’Orge, de l’Aisne, de la Marne dès son amont et de l’Yonne.
Mille sites contaminés
Les eaux de surface constituant 40 % des ressources en eau potable, les inspecteurs s’étonnent que la France ne surveille aujourd’hui que cinq PFAS, quand la directive européenne de décembre 2020 en impose vingt.
Concernant les eaux souterraines, cette fois, selon un travail de compilation des données pour la période 2018-2021 mené par le Bureau de recherches géologiques et minières, les contaminations sont plus marquées pour les nappes de la Limagne et d’Alsace, de la région rhodanienne, du Nord, de la vallée de la Meuse et de la Moselle et de leurs affluents, de Bretagne et de la côte méditerranéenne. Pour le seul PFOA, classé cancérogène probable depuis 2016, des concentrations proches de 10 000 ng/l ont été mesurées dans le « secteur de Paris », révèle le rapport, sans plus de précision.
L’IGEDD souligne également des insuffisances dans l’identification des sources de pollution. Concernant les émissions industrielles, la réglementation française « encadre encore trop peu » les rejets en PFAS, et leur suivi est jugé « quasi inexistant ». Les seules informations disponibles correspondent à quelques hot spots relevés dans un rapport de l’Anses publié en 2011 ou par des enquêtes journalistiques, notent les inspecteurs.
En février, Le Monde a répertorié plus de 1 000 sites contaminés en France. En mai 2022, l’émission « Envoyé spécial », sur France 2, dévoilait une importante pollution industrielle dans la « vallée de la chimie », au sud de Lyon. Selon les calculs des inspecteurs de l’IGEDD, l’usine Arkema rejetterait la quantité astronomique de
3,5 tonnes de PFAS par an.
Le rapport dresse également un premier inventaire des sites ayant nécessité l’usage de mousses antifeu contenant des PFAS, en particulier pour lutter contre des incendies d’hydrocarbures. 542 sites Seveso, 129 sites aéroportuaires, 99 sites militaires, 71 sites portuaires, 121 sites consacrés à la lutte contre les incendies (casernes de pompiers ou sites d’exercices), ou encore 71 sites d’accidents aériens survenus depuis 2010… plus de 1 000 lieux ont été identifiés.
L’IGEDD attire l’attention sur une autre source de pollution largement négligée : les stations d’épuration. La France en compte 22 000. Or, conclut le rapport, « les PFAS résistent aux traitements classiques ». Des analyses menées entre 2017 et 2020 sur le seul PFOS montrent que plus de 20 % des stations de plus de 10 000 habitants rejettent du PFOS et 5 % plus de 40 kilos par an. Pour les inspecteurs, les épandages de boues issues des stations doivent aussi être surveillés. De la même manière, ils soulèvent la question des épandages de pesticides contenant des PFAS, « sujet très mal documenté qui mériterait une enquête auprès des fabricants ».
Le rapport signale en outre le cas des incinérateurs de déchets – dont la France est l’une des championnes d’Europe, avec 126 installations. Non seulement le traitement des PFAS dans les fumées n’est pas pris en compte en l’absence de normes et de méthode d’analyse, mais « de nombreux incinérateurs d’ordures ménagères pourraient constituer une source de contamination par voie atmosphérique », faute d’atteindre la température nécessaire à leur élimination, estimée à plus de 900 °C.
« Ce rapport constitue une base solide sur laquelle les connaissances liées à la réduction des risques liés aux PFAS pourront se développer, commente le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Il conforme aussi la pertinence des actions annoncées par le gouvernement dans le plan d’action publié en janvier. » Un plan qui fait pourtant l’impasse sur nombre de « lacunes » relevées dans le rapport.
Cet article a été écrit et publié par le journal Le Monde